Le monde merveilleux des "pros" du casino. La belle vie, l'argent facile... Voilà pour la part de rêve. Parfois la réalité s'avère plus douloureuse. Les coups bas, la violence, les escroqueries font également partie de la vie des accros au tapis vert. L'affaire jugée, hier, en comparution immédiate, à la barre du tribunal correctionnel de Narbonne en apporte la preuve.
A la barre, quatre habitués des cartes demeurant dans l'Hérault. Un croupier de 19 ans, voleur à ses heures, un joueur de 29 ans, escroc mais pas trop, et deux trentenaires pratiquants assidus, spectateurs d'un soir, n'hésitant pas à jouer des poings lorsqu'un adversaire s'amuse à saboter une table.
Dans ce dossier deux victimes : le casino de Gruissan, le Phoebus, et la société organisatrice de holdem texas Poker.
Les faits remontent au week-end du 10 octobre 2009. SONY, le croupier, vacataire de son état, dérobe 50 000 jetons au Phoebus. Il fournit "la marchandise" à Khaled qui, grâce à ce don, termine troisième du tournoi et remporte la somme de 5 563 euros. Jusque-là, l'arnaque, nommée dans le jargon des joueurs "la remontée de jetons", aurait pu passer inaperçue. Seulement, deux chevaliers blancs du tapis verts en ont décidé autrement. Ce sont les deux cousins italiens, Antonio, 39 ans, et David, 35 ans, toujours prompts à taquiner les cartes, abstinents ce soir-là, mais présents dans les coulisses, qui ont alerté la police judiciaire de Perpignan. Pour quelles raisons ? "Ils étaient complices, mais les deux autres n'ont pas voulu partager les gains. C'est pour cela qu'ils ont frappé Khaled à la sortie du casino". Telle est la première explication proposée par le Procureur de la République, Marie-Hélène Vétro. La seconde ? "Antonio et David ont voulu nuire à l'image du Phoebus, car ils avaient eu maille à partir avec l'établissement". Une version également défendue par les parties civiles, représentées à l'audience par M e Pinet.
Ou sont passés les 100 000 autres jetons ? Dans le prétoire, le croupier et son complice, Khaled, avouent sans difficulté. Ils ont joué, ils ont perdu. Les deux autres prévenus adoptent un tout autre comportement. Antonio s'explique : "Je savais qu'il y avait de la triche là-bas. La preuve... Aujourd'hui. Mais, dans le box, il n'y a pas les vrais escrocs. Ils sont au-dessus. Intouchables, peut-être ? Et j'ai frappé personne, j'ai juste voulu séparer Khaled et mon cousin". Au cousin, justement, de livrer sa version : "J'ai vu qu'il y avait une fraude. J'ai compté les jetons, alors j'ai prévenu mon cousin qui a appelé la police. J'ai tapé Khaled car il m'a traité de cave, comme ça sans raison". Des explications qui laissent, semble-t-il, perplexe le tribunal présidé par Catherine Lelong. "Vous courrez de cette façon après quelqu'un pour un mot échangé ? Curieux...". Il faut dire que tout ce petit monde se connaît. A Cannes, Nice, Las Vegas ou Marrakech, à l'occasion de parties endiablées, on se croise, se toise, et parfois se fréquente. Et dans le milieu, le semble fait, parait-il, partie du jeu. Une certitude : ce dossier comporte des zones d'ombre. Dont une étonnant. Si le croupier a dérobé 50 000 jetons, 100 000 euros ont disparu du Phoebus, sans explication... Les prévenus ont-ils volé plus de jetons qu'ils ne l'avouent ? Ou, d'autres tricheurs sévissent-ils dans l'environnement du casino ? L'audience ne permettra pas de répondre à ces interrogations. Pour M e Pinet, l'avocat du Phoebus et de la société prestatrice de services, texas poker, Antonio et David ont voulu nuire à la réputation du casino. "Financièrement, le préjudice est important. Car si la tricherie est avérée, les 89 joueurs du week-end sont en droit de demander le remboursement de leur mise de départ à savoir 550 euros chacun". Quand au ministère public, il évoque l'existence d'une bande organisée : "Sony et Khaled sont peut-être des lampistes. Mais il y a des faits. C'est une bande qui a agi en connaissance de cause, sous les ordres de deux commanditaires".
Pas de mandat de dépôt Une analyse que ne partage absolument par les avocats de la défense, Me Jean-Baptiste Llatty, pour les deux cousins italiens et Me Pierre Charpy, pour Sony et Khaled. Le premier insiste : "Le parquet propose deux versions, mais il faut choisir, car l'une annule l'autre. On parle de commanditaires, mais ce sont eux qui ont prévenu la police judiciaire. Incompréhensible...". Le second va plus loin, en visant les réquisitions : "Tout ce qui est excessif est insignifiant. C'est bien le cas de ces réquisitions". Au final, le tribunal ne suivra pas le ministère public. Tous les prévenus repartiront libres du Palais de Justice. Seul Khaled écopera d'une peine de prison ferme. Mais la justice ne délivrera pas de mandat de dépôt.
(source : lindependant.com/N. B)