Mercredi 26 août 2009 : Paris sportifs, casino, poker... quand rien ne va plus
On est malades. Il faut l'accepter !" Comme Antoine (son prénom, ainsi que celui des autres joueurs cités, a été modifié), 33 ans, ils sont quelques-uns à se réunir toutes les semaines à l'arrière d'un bar très chic du 16e arrondissement de Paris. Point commun : ce sont des joueurs "compulsifs", accros au casino, au poker, aux jeux de grattage ou aux paris sportifs, un monopole de la Française des jeux et du PMU.
Au 1er janvier 2010, les règles changent : le marché des jeux en ligne sera libéralisé, et permettra l'entrée de nouveaux acteurs privés. Un sérieux risque d'augmentation du nombre de victimes de cette addiction, méconnue des pouvoirs publics, et du travail supplémentaire en perspective pour l'association Gamblers Anonymous, créée à l'initiative d'anciens joueurs. Pour eux, le premier pas est de reconnaître leur impuissance face au jeu. Ensuite seulement peut démarrer la thérapie. Olivier, l'organisateur de ces réunions, est "tombé" dans le poker "à une époque où c'était pratiqué par les mauvais garçons, pas comme aujourd'hui".
Samedi 29 août débute, à Paris, le France Poker Tour 2009, qui sillonnera treize villes jusqu'à la fin de l'année. Pour Olivier, les joueurs sont "des individus immatures qui pensent pouvoir gagner leur vie sans effort". Mais très vite le problème de l'argent se pose. Tous avouent avoir perdu jusqu'à plusieurs milliers d'euros dans la même journée. Une fois le sentiment de culpabilité passé, le joueur n'a plus qu'un objectif : trouver de l'argent frais pour "se refaire". Les sources d'approvisionnement se tarissent vite. Banques, organismes de crédit, amis, famille : tout y passe.
"A l'image d'un toxicomane à la recherche de sa dose, on est prêt à tout ou presque pour obtenir du fric. Nous avons une force de persuasion très forte, capable d'influencer n'importe qui", témoigne Constance, chef d'entreprise d'une quarantaine d'années, qui a perdu l'équivalent de cinq ans de salaire en trois mois au casino.
A la différence de l'escroc, le joueur compulsif est, la plupart du temps, de bonne foi lorsqu'il demande de l'argent, convaincu d'en regagner suffisamment pour rembourser. Mais il existe une règle d'or : "L'argent du jeu reste au jeu." Il est inconcevable pour eux de s'en servir pour autre chose que le pari. L'appât du gain est plus fort que tout. "L'argent n'est qu'un moyen d'assouvir ce besoin, pas une fin", soutient Olivier.
Beaucoup se considèrent comme une nuisance pour leur entourage. "J'ai dépouillé tous mes amis, et même ma petite soeur, sur laquelle j'avais un ascendant psychologique", confesse Constance. Pour les familles, la situation est délicate à gérer. A la différence de l'alcool ou des drogues, l'addiction au jeu ne laisse aucune séquelle physique.
Nicolas est accro depuis dix-neuf ans au PMU. Il a rencontré sa femme en 1997, mais lui a avoué sa dépendance il y a trois mois. "Ça a été un choc pour elle. C'est comme si je l'avais trompée pendant tout ce temps", témoigne-t-il.
François, de son côté, est marié à une joueuse insatiable qui avait arrêté durant quatorze ans. Après sa rechute, il a décidé d'ouvrir une cellule de Gam-Anon en France, une association d'entraide destinée aux familles de joueurs née aux Etats-Unis comme Gamblers Anonymous. "De la même façon que j'ai accompagné ma femme lorsqu'elle a eu un cancer, j'essaie de la soutenir dans sa lutte contre la dépendance, raconte François. Je suis passé par tous les stades, à commencer par la dépression. Je brûlais ses vêtements lorsqu'elle découchait pour aller au casino. Sans effet." Voyant sa femme dans "un état de délabrement insupportable", il reconnaît avoir usé de la violence, "toujours sans résultat". Il a même envisagé le suicide, puis de la tuer, pensant "qu'une fois morte, les problèmes s'arrêteraient".
Depuis, François a déposé les armes : "Quoi qu'il arrive, ce n'est plus mon problème. J'aime ma femme, mais je ne ferai plus rien pour l'empêcher d'assumer les conséquences de ses actes, même si cela devait la conduire en prison." François a mis des années avant de réaliser que son épouse ne pourrait jamais guérir définitivement. "demander à un joueur compulsif d'arrêter de jouer est aussi efficace que de demander à un cancéreux d'arrêter de l'être."