Le gouvernement laotien a cédé la ville de Boten, au nord du pays, à des entrepreneurs chinois pour en faire leur petit Las Vegas.
A peine animée par quelques joueurs de Mahjong, la ville de Boten a des airs de no man’s land. Prenant vie soudainement lorsque des croupiers y déboulent par dizaines en vestons colorés. C’est le changement de ronde, "toutes les 8 heures car le casino est ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24", explique un manager tout sourire en pointant une barre d’immeuble rectangulaire dont on peine à croire que c’est le fameux Golden Boten City.
Et qui ne laisse rien présager de ce qui se trame chaque jour dans cette minuscule ville, entourée par la jungle laotienne à un kilomètre de la frontière chinoise. D’ailleurs, ici, ce n’est déjà plus le Laos. Depuis l’ouverture du casino, il y a deux ans et demi, les bâtiments, la monnaie ou le fuseau horaire de la ville sont devenus chinois. Et la nouvelle Boten, le terrain de jeu de milliers de chinois privés de jeux d’argent par leur gouvernement.
Vegas Low Cost ?
Tout se joue donc entre les murs du casino, derrière un portique électronique. Là, entassés dans des salles enfumées, les joueurs jettent violemment leurs cartes sur les tapis verts élimés de tables brinquebalantes. Chaque salle est identique puisque seul le baccara est au menu en dehors de quelques machines à sous ou roulettes électroniques. A certaines tables, des joueurs munis d’oreillettes parient pour de riches chinois qui misent de chez eux en observant la table via Internet. Installés à Boten pour des jours ou des semaines, ils ne sortent du casino que pour manger ou boire de l’alcool (interdit à l’intérieur). Quant aux joueurs d’un soir, ils déambulent en short et claquettes, ignorant les fuites au plafond et écrasant leurs cigarettes sur la moquette fleurie.
"Je viens souvent du Yunnan pour jouer. C’est comme si j’étais en Chine, le casino en plus. D’ailleurs, nous n’avons même pas besoin de visa !", raconte l’homme d’une cinquantaine d’années en agitant une barquette en plastique où s’entassent pêle-mêle cigarettes aux filtres dorés et jetons à plusieurs 0. Car sous des apparences de mauvaise contrefaçon de Las Vegas, les sommes jouées au Golden Boten City n’ont rien à envier aux casinos de Macao ou d’ailleurs. "Certains joueurs dépensent 20 000 euros par soirée", confie un croupier laotien qui en gagne tout juste 200 par mois.
Envers du décor apparent
Thailandais, laotiens, vietnamiens et bien sûr chinois se sont rués dans cette ville-casino en pleine expansion. « Malgré un diplôme de tourisme, je travaillais comme réceptionniste dans mon pays. Ici, j’assiste l’ingénieur sons et lumières du cabaret pour un salaire identique et les chinois me donnent parfois des jetons avec lesquels je peux payer dans les boutiques», raconte Phamg, 23 ans, arrivé de Thailande un mois plus tôt.
Les travailleurs viennent de loin pour ces quelques jetons supplémentaires. Tout comme ces jeunes femmes qui, perchées sur de trop hauts talons, traînent leurs silhouettes anorexiques devant le casino, entre les tables de restaurants ou jusqu’aux hôtels pour distribuer des cartes de visite. Imprimées et livrées par leurs proxénètes, les cartes se ressemblent toutes. Seul un chiffre permet de distinguer une fille d’une autre.
Mais les tenanciers de cette usine à jeux se moquent bien d’en dissimuler la part sombre. Soigneusement alignés par rangées, les baraquements des employés font face au casino. Croupiers, gardiens ou femmes de chambres s’entassent à 4 ou 5 dans des pièces aux fenêtres grillagées et semblables aux dortoirs d’une zone industrielle chinoise.
Hors des frontières, la nouvelle Boten se révèle une ville transit pour des gens venus chercher ici ce qu’ils ne trouvent chez eux : l’adrénaline du jeu pour les uns, du travail pour les autres. Mais la ville a aussi ses fantômes. Des histoires sordides se murmurent ça et là : "Il paraît que des gens se font tuer lorsqu’ils s’endettent. Les créanciers les pendent aux ventilateurs ou les jettent par la fenêtre, poignés attachés. Mais, je n‘ai rien dit", s’empresse d’ajouter l’homme en regardant autour de lui. "De toute façon, qui s’en préoccupe ? Il n’y a pas vraiment de lois ici, ni laotiennes, ni chinoises. C’est une zone de non droit", finit-il par souffler avant de filer perdre son uniforme dans la masse.
Expropriation
Créée de toutes pièces il y a plus de deux ans et demi, la nouvelle ville de Boten est le résultat d’une concession de 30 ans accordée par le gouvernement laotien à son voisin et ami, la Chine. Les villageois de l’ancienne Boten ont simplement été sommés de se déplacer 7 kilomètres plus loin pour permettre à des entrepreneurs chinois d’y établir les bases d’une "zone économique spéciale".
Eléments centraux de cette zone, l’hôtel et le casino ont été construits en premier. Puis se sont succédés quelques investissements de taille comme un deuxième casino pour les moins fortunés, un cabaret et d’autres hôtels.
Boten a ainsi permis la création de plus d’un millier d’emplois entre les deux casinos et le grand hôtel de 600 chambres qui est plein à 90 % toute l’année.
Mais 3 ans après le début des travaux, Boten n’est pas encore la ville moderne et touristique espérée. La motivation principale des visiteurs reste le casino puisque les jeux d’argent sont interdits sur tout le territoire chinois. Toutefois, de nouveaux projets sont en cours : un centre commercial de bijoux, un terrain de golf et peut-être même un jour, d’après certaines rumeurs, un aéroport "international" dans la petite bourgade voisine de Na Toei.
(source : metrofrance.com/Emilie Darnaud et Nathaël Rusch)