Une piste de ski construite sur un crassier, un centre de loisirs de 60 hectares d'où l'on voit les cheminées des derniers hauts-fourneaux : en vingt-sept ans, Jean Kiffer a totalement transformé Amnéville, une ville de 9 000 habitants proche de Metz. Et il a réussi en grande partie grâce à son casino.
"C'est une histoire de fou qui a marché", se vante celui qui ne se fait appeler que "docteur". Deux ans après son installation, jeune médecin, fils de cultivateurs, M. Kiffer conquiert, en 1965, cette cité que les communistes gouvernaient depuis 1920. Dans les années 1970, lorsque apparaissent les premiers symptômes de la crise de la sidérurgie, il imagine de "taper à contre-courant et de construire un centre de loisirs", jouant sur le fait qu'Amnéville se trouve au centre d'un bassin de population d'un million d'habitants et à proximité des frontières allemande et luxembourgeoise.
Il se souvient de l'existence d'une source d'eau chaude, découverte par les Allemands en 1908. Il obtient de l'Académie de méde-cine qu'elle lui reconnaisse des vertus en matière de rhumatologie et de maladies respiratoires, puis, en 1987, le classement d'Amnéville comme "station hydrominérale".
Dès lors, la ville peut prétendre à l'installation d'un casino. Le docteur Kiffer, qui est alors député, se lance, comme il le raconte, dans une course contre la montre pour obtenir son autorisation avant que Charles Pasqua, dont il est proche, ne quitte le ministère de l'intérieur. Ce dernier signera l'autorisation le 10 mai 1988, au lendemain de la réélection de François Mitterrand...
CARCASSE EN BÉTON
Et M. Kiffer double immédiatement sa mise ; car il est le premier à bénéficier de l'autorisation des machines à sous et peut en installer 180 dès l'ouverture de l'établissement, pour lequel il a déjà investi 50 millions de francs (7,6 millions d'euros).
Mais les choses sont allées tellement vite qu'il n'a pas eu le temps de trouver un "casinotier". Du coup, il cède aux propositions que lui a faites Georges Tranchant, ancien député (RPR) des Hauts-de-Seine, qui veut se reconvertir dans les jeux de hasard. Il signe avec la société Europe 92 de M. Tranchant une convention d'exploitation et d'animation avec discothèque, restaurant et salle de jeux, valable jusqu'en 2005. Entre le loyer et le produit des jeux, le casino rapporte en moyenne 50 millions de francs (7,6 millions d'euros) par an à la commune. Car l'établissement fonctionne bien : le nombre de machines à sous est passé à 270, et elles attirent quelque 900 000 visiteurs par an. La chambre régionale des comptes de Lorraine estime qu'entre 1994 et 1999, l'augmentation du chiffre d'affaires (jeux et restauration) a été supérieure à 37 %.
Mais cela n'empêche pas les protagonistes de se livrer une guerre sans merci. En 1994, le conseil municipal d'Amnéville demande la révocation d'Europe 92, notamment pour non-respect du cahier des charges, et décide d'y substituer une société locale, Amnéville France développement (AFD). La crise devient telle que le ministère de l'intérieur décide de fermer le casino en juin et juillet 1995. Les différentes parties signent alors un protocole d'accord, cosigné par le préfet de la Moselle, qui réintègre Europe 92 et renouvelle le cahier des charges.
La trêve ne dure pas. L'achèvement de la construction d'un hôtel quatre étoiles est devenue le nouveau prétexte de la bataille entre les deux hommes, qui s'accusent mutuellement d'entraver le processus et d'être responsable de l'horrible carcasse en béton, qui défigure le parc de loisirs.
Désormais, MM. Kiffer et Tranchant ne se parlent plus, mais ils multiplient les procédures judiciaires, dont leurs sites internet respectifs racontent le feuilleton.
(source : Lemonde.fr/F. Ch.)