Québec s'apprête à légaliser les parties de poker entre joueurs et avec croupier dans les casinos de Loto-Québec. Cette décision, publiée ce matin dans la Gazette officielle du Québec, pourrait mettre fin à la prolifération des maisons de jeu clandestines et des tournois illégaux organisés dans des dizaines de bars de la province.
Le changement réglementaire survient après des mois de tergiversations. La loterie d'État réclamait depuis l'année dernière le droit d'exploiter des tables payantes de Texas Hold'em, forme de poker rendue populaire par la télé américaine et les sites de jeu sur Internet. La loi sur les loteries ne permettait toutefois pas ce type de jeu. Plus d'une trentaine de casinos, dans six provinces canadiennes, proposent de telles parties de poker.
Le projet de changement réglementaire rendu public aujourd'hui «nous permettra d'offrir du Hold'em, mais aussi plusieurs autres formes de poker avec croupier, où les gens jouent les uns contre les autres», a indiqué hier à La Presse Jean-Pierre Roy, porte-parole de Loto-Québec.
Nous avons aussi «Nous avons aussi l'intention d'offrir des formes de jeu contre la maison», a-t-il ajouté.
Aucun détail sur le mode de fonctionnement, le nombre de tables et le type de mises n'a pour l'instant été dévoilé.
Les casinos québécois offrent déjà certaines formes de poker où les joueurs affrontent la maison dans des conditions défavorables.
Avant d'entrer en vigueur, le projet de réglementation doit d'abord faire l'objet d'une seconde publication dans la Gazette officielle dans 45 jours. Ensuite, un délai de 15 jours s'ajoutera avant que Loto-Québec puisse exploiter des tables de poker.
Maisons clandestines?
Une des raisons évoquées par Loto-Québec pour justifier le changement réglementaire était la prolifération des sites de jeu clandestins. "Il doit y avoir actuellement 200 bars qui organisent des tournois payants, qui coûtent 20$, 30$, ou 40$ à l'entrée. C'est une zone grise sur laquelle les policiers fermaient les yeux puisqu'il n'y a pas d'offre légale, affirme Renaud Poulain, président de la Corporation des propriétaires de bars du Québec. À partir de demain (aujourd'hui), c'est clair que c'est fini", croit-il.
D'autres maisons clandestines se prennent plutôt un pourcentage sur chaque tour de jeu. "J'ai vu des endroits prendre jusqu'à 20$ par main. C'est énorme, si on compare cela aux casinos américains, qui prélèvent entre 5$ et 8$ au maximum. L'arrivée de Loto-Québec dans le portrait va mettre fin à l'abus. Nous allons enfin avoir des standards sur lesquels nous fier", estime pour sa part Pierre Martel, vice-président de l'association des joueurs de tournois de poker du Québec, joint hier soir à Las Vegas.
La légalisation du poker reste néanmoins une source importante d'inquiétude pour les groupes de pression opposés au jeu. "Le poker, et plus particulièrement le poker avec croupier, est une forme de jeu qui rapporte peu pour un casino, avance Alain Dubois, éditeur du site internet Jeu-Compulsif.info et membre de la coalition EmJeu. Le rythme est moins rapide qu'avec les machines à sous. Sur le plan marketing, c'est clair que ça va attirer une nouvelle clientèle. Mais notre crainte est de voir l'offre de jeu globale augmenter pour compenser le manque à gagner."
Pire, craint la coalition, Loto-Québec a aussi annoncé son intention d'exploiter des tables de poker avec croupiers électroniques.
Actuellement en test dans les laboratoires de la Régie des alcools, des courses et des jeux, ces tables automatisées permettront à 10 joueurs de jouer les uns contre les autres simultanément sur des interfaces électroniques. "Ces croupiers électroniques offrent l'avantage d'accélérer le rythme du jeu. Cela a un impact important sur les joueurs, qui sont poussés à jouer davantage. On se rapproche alors des problématiques de jeu compulsif", affirme Alain Dubois, d'EmJeu.
Même son de cloche du côté de la Direction de la santé publique de Montréal, qui craint l'arrivée simultanée du poker avec croupier avec celle du poker automatisé. "Nous n'avons pas beaucoup de données sur le poker, mais il est clair pour nous que l'interaction avec le croupier facilite grandement la détection des signes de comportement pathologique", explique le porte-parole Blaise Lefebvre.
Contrairement aux tables avec croupier, aucun changement réglementaire n'est nécessaire pour permettre l'arrivée des tables de poker automatisées.
QU'EST-CE QUE LE TEXAS
Né au Texas, comme son nom l'indique, le Texas Hold'em a fait son apparition dans les casinos de Las Vegas à la fin des années 70, pour rapidement se propager dans le reste des casinos américains et dans certains casinos d'Europe par la suite.
Il s'agit d'un jeu de poker à sept cartes. Moyennant une mise minimale, chaque joueur obtient deux cartes, qu'il ne peut échanger, mais dont il peut se servir pour créer une main avec les cinq cartes publiques disposées sur la table par le croupier. À chaque tour de jeu, les joueurs peuvent enrichir la cagnotte de leurs mises, à la suite de quoi une carte est révélée. Lorsque les cinq cartes sont tournées, la main la plus forte remporte la mise.
Cette variante du poker a explosé en popularité peu après la sortie du film Rounders, en 1998, avec Matt Damon et Edward Norton, et la diffusion à la télé, quelques années plus tard, de grands tournois, notamment sur la chaîne américaine ESPN.
(source : cyberpresse.ca/Tristan Péloquin)