Il joue au poker depuis 25 ans mais affirme que ça ne fait pas de lui un gros joueur. « Non, un gros joueur, c'est une personne qui n'a aucune notion de l'argent, qui n'a plus de femme, qui ne s'occupe pas de ses enfants, qui n'a pas d'amis. Il a une vieille voiture, toujours le même polo et le même jean ». Robert affirme ne pas faire partie de ces gens-là bien qu'il ait divorcé il y a deux ans « en partie à cause du jeu », et qu'à une époque, il n'acceptait pas que l'argent serve à autre chose qu'à jouer.
« Non, un joueur n'a rien. plus de vie, juste ses yeux pour pleurer s'il le peut encore. et des dettes ».
Robert joue dans des cercles fermés, secrets, chez des privés « où on vit en total décalage avec la réalité, sur la planète jeu ».
« Le gros joueur, c'est celui qui va se lever le matin et espérant qu'il va récupérer, le soir, les 100 000, 200 000, 300 000 euros qu'il a perdus la veille ». Parce que dans le cercle de Robert, si on ne touche un salaire que de 3 000 à 4 000 euros par mois, on met sur la table des sommes pour le moins vertigineuses : « 300 000 euros ? C'est normal quand on joue 24 heures de suite, voire durant deux jours ». Il se souvient d'un homme qui a rayé la carte grise de sa voiture de luxe parce qu'il lui manquait à l'époque 2 000 francs pour voir le jeu de l'autre. et qui est rentré chez lui à pied. « 300 000 euros, ce n'est rien. Dans les casinos, certains repartent avec 1,5 million d'euros. Et si le joueur de poker peut s'égarer vers le black jack par exemple, mais pas vers les jeux télévisés ou de grattage, regardez combien on peut gagner à l'Euromillion. Non, je vous assure que 300 000 euros au poker, c'est quelque chose de courant ».
« Le jeu, c'est un suicide, c'est pire qu'une drogue ». Sur la « planète jeu », on peut perdre, et prendre autant de plaisir que lorsqu'on gagne. Même plus. « Qu'est ce qu''n bon joueur ? C'est quelqu'un qui accepte de perdre. Rentrer chez soi en ayant laissé 100 000 sur la table n'enlève rien au plaisir. Un joueur dira que la partie était extraordinaire, alors qu'il viendra de perdre sa vie ».
Selon Robert, le poker, c'est une maladie, du suicide! « Si on en est arrivé à cette déchéance, c'est qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait pour être bien. Le jeu est maladif, obsessionnel, c'est pire que la drogue. Les cartes sont plus importantes que sa famille : quand tu as un carré d'as dans les mains, tu es le cinquième as. Tu sacrifies tout pour les cartes. C'est du suicide », appuie Robert qui certifie que la chance du débutant n'existe pas : « On ne peut pas parler de chance, mais de la perte du débutant. Le pire qui puisse arriver à un nouveau joueur, c'est de gagner immédiatement : il va prendre goût au poker, et quelques jours après, il va tout perdre ».
Robert parlent de ces alliances entre joueurs qui permettent de sécher un néophyte : « le premier jour, on a un bon jeu mais on le laisse gagner 15 000 euros, le deuxième, il repart avec 20 000, le troisième, pareil. Le quatrième jour, il est en confiance, il flambe et mise beaucoup. On lui prend 300 000 euros, même avec un petit jeu ». Et ceux qui l'ont saigné, n'ont plus qu'à se partager les gains.
« Non, je ne suis plus un gros joueur. Le gros joueur est malade. Et sur son lit de mort, même s'il sait qu'on n'enlèvera jamais les lustres d'un casino, il se dit : « merde, ce soir, j'avais une partie à jouer » ». Non, Robert n'est pas de ceux-là. Mais ce soir, il ne doit pas s'occuper de son fils de 7 ans et demi. Alors, il va rejoindre la table de quatre, casser la croûte en cinq minutes pour ne pas interrompre les parties qui dureront jusqu'à point d'heure. Il gagnera 30 000, 50 000, 100 000 euros, ou les perdre, peu importe. L'obsession est satisfaite, et le plaisir maladif de jouer est là.
(source : lejsl.com/E. Bouthray)