Grève contre les versions électroniques des jeux traditionnels qui menacent l'emploi.
C'est cette foutue électronique qui leur fait peur. Dès que le mot est prononcé au détour d'un texte, les voilà qui comptent les emplois menacés : 3 500 sur 17 000. Les employés des casinos craignent d'être remplacés par des machines. Maudits bandits manchots dont la culture se répand. Même dans les jeux traditionnels, ceux qui font le lustre de leurs établissements. Alors, dimanche soir, pour le réveillon, ils sont appelés à se mettre en grève par leurs syndicats (CGT, FO, CFDT et CGC). Objectif : obtenir une révision de la réforme de la réglementation des casinos, dont un décret (paru le 13 décembre) légalise entre autres choses les «formes électroniques» de tous les jeux. Y compris les jeux de «contre-partie» (roulette, black jack, stud poker, boule...) et les jeux de «cercle» comme le baccara, le Texas hold'em poker... Pour des croupiers habitués à élimer leur manche sur des tables à roulette française, c'est tout un monde qui pourrait disparaître. «Il suffirait que les fabricants de machines s'emparent des jeux traditionnels pour qu'on ait bientôt moins besoin d'un croupier que d'un technicien de maintenance autour des tables», s'inquiète Enrique Cuevas, de la fédération des services CFDT. La roulette anglaise électronique existe déjà. Elle fonctionne sans croupier.
«Kling kling». Les employés des casinos n'avaient déjà pas trop apprécié l'arrivée des bandits manchots. C'était au début des années 90. Mais ceux-ci génèrent aujourd'hui l'essentiel du chiffre d'affaires des casinos, et ils s'y sont habitués. Même le «kling kling» des pièces qui tombent fait partie de l'animation. «Et si demain, on ne fait plus qu'introduire des cartes de paiement ?» interroge encore Enrique Cuevas. Car la dématérialisation des moyens de paiement sur les machines à sous est une autre source d'inquiétude pour les employés. Et elle n'est pas que sonore : «Que vont devenir les emplois de ceux qui comptent l'argent, font les rouleaux de pièce...?» Et les pourboires qui contribuent en bonne partie à la rémunération des employés de casinos ? Maudites machines décidément. Même les physionomistes se meurent, avec les contrôles d'accès électroniques. Et voilà qu'en même temps, on voudrait introduire davantage de polyvalence dans les métiers. «Un croupier ou un technicien de machine à sous pourra être affecté à la caisse, à l'accueil ou à la sécurité sans être augmenté d'un centime d'euro», peste l'intersyndicale, qui réclame aussi une augmentation de salaire de 5 %.
«Abattis». «Ils n'auront pas un sou», s'étrangle Patrick Partouche, principal employeur (6 000 salariés) du secteur avant de tempérer : «On ne discutera pas au-delà des 2 % proposés.» Cette grève le fait éructer. Il peste contre ses initiateurs, ceux qui «ne pensent qu'à leur carrière syndicale». Il fustige ces croupiers qui se croient «issus d'une aristocratie du jeu». Et il menace : «Les états d'âme de quelques employés de jeux traditionnels, je m'en fous. Ils vont dégager. Je ne vais pas laisser quelques individus pénaliser l'emploi de la majorité pour préserver leurs avantages acquis. Vous pouvez l'écrire madame. Lundi, on comptera les abattis.» Qu'en termes choisis ces choses-là sont dites.
Pour lui, tout ce que contient ce décret est indispensable au développement des casinos. Résultat, même les protestations des salariés contre le tabac le font grimper au plafond. Les casinos ont obtenu un report de l'application du décret antitabac jusqu'en 2008. «Mais après, on va perdre 20 % du chiffre d'affaires. Peut-être que les salariés vont gagner six ans de vie de plus. Mais ce sera six ans au chômage !» C'est dire l'ambiance à la veille de ce mouvement de grève dont les perturbations étaient, vendredi, difficiles à prévoir.
(source : liberation.fr/Nicole PENICAUT)