Avec le Fouquet's, transformé en nouveau palace, le groupe d'hôtels de luxe et de casinos s'offre une vitrine pour installer sa marque à l'international
Sept ans de tractations et une mise de 75 millions d'euros. Le mythique restaurant Fouquet's, situé à l'angle de l'avenue George-V et des Champs-Elysées, se transformera, le 3 novembre, en hôtel de luxe. Au menu de ce que le groupe Lucien Barrière nomme déjà le septième palace parisien: 107 chambres équipées des technologies dernier cri, une piscine avec une plage en ardoise et une suite présidentielle de 535 mètres carrés à 15 000 € la nuit, déjà louée un mois l'été prochain à une famille étrangère!
L'ouverture de ce «baby palace» tant attendu est une belle revanche pour le dernier représentant de l'hôtellerie de luxe française, qui partage avec son grand rival, Partouche, le leadership des casinos dans l'Hexagone. «Mon beau-père avait raté de peu le Bristol», se plaît à répéter Dominique Desseigne, seul à la tête du groupe depuis la mort de sa femme, Diane Barrière, en 2001. Cet ancien notaire un tantinet people, proche de nicolas Sarkozy, sait qu'il joue gros avec le Fouquet's, appelé à devenir le porte-drapeau du groupe dans sa conquête du monde.
L'aventure parisienne marque ainsi un nouveau tournant dans cette saga familiale, entamée au début du XXe siècle par François André, un visionnaire à l'origine du concept de resort, réunissant dans un même lieu - La Baule à l'époque - les jeux et l'hôtellerie. Cette stratégie atypique sera développée avec succès par son neveu, Lucien Barrière, et poursuivie par la fille de ce dernier, Diane. «Elle permet de créer des synergies entre les établissements, qui se renvoient leurs clients», souligne Marc Watkins, de Coach Omnium.
Mais le mauvais sort ne frappe pas qu'au casino. Victime d'un accident d'hélicoptère en 1995, Diane voit sa santé se dégrader progressivement, tandis que le groupe, obnubilé par son indépendance, reste extrêmement prudent. L'entreprise devient peu à peu une belle endormie, propriétaire d'un patrimoine qu'elle fait gentiment ronronner. D'autant que les machines à sous - une vache à lait qui représente encore 80% de ses revenus - lui assurent alors une confortable rentabilité.
«Lucien Barrière a été marqué par une tradition de paternalisme autocratique sans grande ambition hors de l'Hexagone», raconte un ancien collaborateur. Les premiers pas à l'international sont ainsi récents et modestes: cinq casinos en Europe, dont celui de Montreux, en Suisse, racheté en 2001 et devenu le deuxième établissement du groupe derrière Enghien.
Pendant ce temps, la roue tourne sur le marché français des casinos, proche de la saturation et affaibli par une fiscalité très lourde: seulement 1, 3% de croissance en 2004-2005 selon Xerfi, contre 10% quatre ans auparavant. Le nouveau protocole signé avec le ministère de l'Intérieur, qui instaure un contrôle d'identité à l'entrée des établissements, inquiète les professionnels. Sans compter l'impossibilité d'aller sur le net (voir l'encadré) et l'interdiction de fumer à partir du 1er janvier 2008.
Des riads à Marrakech, un casino au Caire
«Face à la consolidation du secteur et à l'expansionnisme des grands acteurs américains, c'est maintenant qu'il faut bouger!» prévient un expert. Lancé dans la création d'un mini-Las Vegas espagnol, Lucien Barrière a ainsi dû céder la place, en 2005, au leader mondial des casinos, Harrah's, faute de moyens financiers.
Il était donc temps pour Dominique Desseigne d'abattre sa carte maîtresse. Alors que Paris est toujours privé de casino par l'Etat, seul un palace peut constituer la vitrine indispensable à l'expansion internationale de Lucien Barrière. Les majors hôtelières, asiatiques ou américaines, cherchent d'ailleurs toutes à s'implanter dans la capitale; la dernière en date, Hyatt, avait échoué à positionner son Paris-Vendôme sur le segment des palaces.
Doté de 40 suites et s'appuyant sur le prestige historique du Fouquet's, le dernier-né Barrière a, selon les spécialistes, mis tous les atouts de son côté. «Sur le modèle de Four Seasons, nous souhaitons utiliser notre palace pour installer notre marque dans les grandes capitales européennes, où des investisseurs nous confieraient la gestion de leurs hôtels», espère Dominique Desseigne. Mais la chaîne américaine détient, elle, un patrimoine homogène constitué d'établissements de grand luxe. «Ce n'est pas le cas de Barrière, dont seul le Majestic, à Cannes, dispose d'une forte clientèle internationale», fait remarquer Olivier Petit, de BDO MG Hôtels & Tourisme.
Le pari est donc de taille, alors que le groupe se lance pour la première fois hors de ses bases européennes: les travaux pour la construction d'un hôtel, assorti de 30 riads et d'une brasserie Fouquet's, en plein cœur de la médina de Marrakech viennent de commencer. Lucien Barrière doit également ouvrir un casino dans l'hôtel Sofitel du Caire au printemps 2007.
Une internationalisation qui va de pair avec la rénovation d'ampleur du resort d'Enghien, l'ouverture du casino de Toulouse et l'extension du Majestic. «Ce dynamisme traduit l'émancipation de Dominique Desseigne et la réussite de la fusion avec Accor Casinos», souligne un bon connaisseur du groupe.
L'entrée d'Accor et du fonds américain Colony dans le capital, fin 2004, a notamment permis de muscler le management. Un ancien d'Accor, Sven Boinet, gestionnaire de haute volée, est venu épauler Dominique Desseigne pour faire fructifier l'héritage familial. Un empire du luxe et du hasard dont ce dernier n'est que le gérant: les véritables propriétaires sont ses enfants, Alexandre, 19 ans, et Joy, 16 ans, appelés le jour venu à reprendre la main.
(source : lexpress.fr/Be
nsoussa
n David)