CETTE SEMAINE La Commission européenne accuse la France de protéger son marché du jeu d'argent. Elle s'en prend aussi au régime de retraite public de La Poste.
LES JEUX, les services postaux, les produits financiers... Par petites touches, la Commission européenne s'emploie à ébranler la forteresse des monopoles européens qui, selon elle, entravent l'accomplissement du marché unique. Jeudi 12 octobre, le commissaire au marché intérieur, Charlie McCreevy, ouvrira la première étape d'une procédure d'infraction à l'encontre de trois États membres, coupables d'entraver la concurrence dans le secteur des paris sportifs : l'Italie, l'Autriche et la France. Paris est suspectée par bruxelles, en violation des règles communautaires sur la libre prestation des services, de protéger les intérêts de ses deux opérateurs uniques, le PMU et La Française des jeux. Le gouvernement Villepin disposera de deux mois pour répondre à ces griefs. Des poursuites identiques avaient été engagées en avril contre le Danemark, la Finlande, l'Allemagne, la Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède.
Parallèlement aux paris sportifs, la Commission pourrait, le même jour, adresser un « avis motivé » à la France pour contester la légalité de son décret anti-OPA visant à contrôler les investissements étrangers dans certains secteurs sensibles, comme les jeux. Dernière étape avant une saisine de la Cour de justice européenne. bruxelles ne comprend pas pourquoi la France impose des restrictions à l'activité des casinos alors que même l'UE s'est déjà dotée d'une directive sur le blanchiment des capitaux.
Cinq procédures disciplinaires La Poste, à son tour, connaîtra des semaines tourmentées. Jeudi encore, la commissaire à la Concurrence, Neelie Kroes ouvrira une procédure visant à déterminer si le cofinancement, par le Trésor public, de son régime de retraite maison, ne constitue pas une aide d'État illégale. Déjà, la garantie financière illimitée dont l'entreprise bénéficie, au titre de son statut d'établissement public, est sous surveillance communautaire, tout comme son monopole de distribution du livret A, aujourd'hui partagé avec les Caisses d'épargne. Un autre de ses monopoles - la distribution du courrier de moins de 50 grammes - pourrait par ailleurs être remis en cause, dès 2009, par un projet de directive, qui doit être présenté le 18 ou 25 octobre prochain.
Ainsi voilà la France - pays réputé protectionniste - visée par cinq procédures disciplinaires d'envergure. Paris serait-elle victime d'un « acharnement » idéologique de la part de bruxelles ? Faux, rétorquent les deux autorités de la Commission européenne. Le 12 octobre, pas moins de 2 000 cas seront épinglés par les autorités communautaires dans les 25 États membres.
« Nous ne voulons pas libéraliser le marché des jeux », se défend un porte-parole du commissaire McCreevy. Ce dernier souhaite simplement vérifier que les législations nationales relatives à ce secteur ne comportent pas « de mesures discriminatoires» à l'égard des opérateurs étrangers, dont elle a reçu plusieurs dizaines de plaintes. « La commission estime qu'à partir du moment où les jeux bénéficient d'une abondante promotion commerciale dans les États membres (NDLR: c'est le cas en France), ces derniers ne doivent pas verrouiller leurs marchés aux autres entreprises. C'est une question de cohérence », confirme un diplomate français.
«L'avocat des bookmakers»L'eurodéputé français, Jacques Toubon, critique cet angélisme. Pour lui, l'Irlandais McCreevy - un fan des courses hippiques - ne fait que prendre sa revanche après que le secteur des jeux eut été exclu du champ de la directive services, et cela au nom du maintien de « l'ordre public ». « Alors que les États-Unis prohibent l'activité des paris en ligne, que Bwin est combattue en France et en Allemagne, McCreevy donne l'impression de se ranger du côté des opérateurs illégaux. Il se fait l'avocat des bookmakers irlandais et britanniques », accuse le parlementaire.
« La Commission utilise ses outils disciplinaires pour éviter qu'ils ne se rouillent et masquer le fait que l'Europe est en crise et incapable de se doter d'une politique commune fiscale ou de l'énergie. Du coup, les gens ont l'impression que la construction communautaire est biaisée », renchérit Pierre Defraigne, directeur d'Eur-Ifri (institut français des relations internationales). Ce genre de débat n'agite pas uniquement les autorités françaises. À Londres, une partie de la classe politique a craint un moment que bruxelles ne veuille remplacer l'image de la reine par celle du drapeau bleu étoilé sur les petits paquets expédiés d'outre-Manche...
(source : lefigaro.fr/PIERRE AVRIL)