Frédéric Rolin, spécialiste du droit du jeu, revient sur la polémique créée par Bwin en France
Interdire, ne pas interdire ? Il semble qu'en matière de jeux d'argent, les Etats aient des positions très ambiguës. La réponse apportée par les Américains est-elle plus claire aujourd'hui ? Et la France, est-elle dans son bon droit lorsqu'elle poursuit la société en ligne austro-allemande Bwin ? Frédéric Rolin, professeur de droit à Paris-X-Nanterre, spécialisé notamment dans le droit du jeu, décrypte les enjeux de ces décisions.
Pourquoi cette loi américaine aujourd'hui ?
C'est la réponse des Etats-Unis à une décision de l'Organisation mondiale du commerce après qu'Antigua leur a contesté le droit de fermer les paris à des opérateurs non américains. En 2005, l'OMC avait estimé que la législation américaine n'était pas conforme aux règles du commerce mondial interdisant la discrimination entre opérateurs nationaux et étrangers. Autrement dit : ou c'est interdit pour tout le monde ou c'est ouvert à tous.
Mais dans de nombreux pays où le jeu d'argent est prohibé, il y a des exceptions...
De fait, si on prend le cas de la France, les jeux y sont interdits sauf dérogations ouvertes à deux ou trois opérateurs comme la Française des jeux ou le PMU. Et c'est d'ailleurs en vertu de cette loi que les dirigeants de Bwin sont poursuivis. Le seul problème est que la loi française telle qu'elle est appliquée est battue en brèche par le droit communautaire.
Que dit le droit communautaire sur le sujet ?
Il est un peu dans la même logique que l'OMC. Depuis l'arrêt Gambelli de 2003, la Cour de justice des communautés européennes offre aux Etats une alternative : si pour des motifs d'ordre public (risques de blanchiment, d'addiction, etc.), les Etats estiment indispensable de limiter le jeu, rien ne leur interdit de limiter le nombre d'opérateurs. Mais il faut pour cela qu'ils respectent une condition fondamentale : qu'ils aient eux-mêmes une politique de modération de leur activité. Dans le cas contraire, le jeu doit être considéré comme une activité identique aux autres et donc accessible à de nouveaux opérateurs.
Et apparemment pas plus que les Etats-Unis, la France n'a freiné l'appétit des opérateurs, auxquels elle accorde des dérogations.
Un décret a bien été promulgué en France, en février, selon lequel la Française des jeux est supposée ne pas multiplier l'offre des jeux. Mais pour l'instant, c'est pure parole verbale. La fdj et le PMU ne cessent au contraire d'élargir la palette de leurs produits. Il y a donc des chances que Bruxelles considère que le droit français est bien contraire au droit communautaire. Toutes les poursuites engagées contre Bwin le seraient alors sur le fondement d'une loi nationale inapplicable. C'est précisément là-dessus que ses dirigeants comptent.
La France, qui n'a sans doute pas envie de se passer de la manne de la Française des jeux, serait donc alors tenue d'ouvrir son marché ?
Non, elle a encore le choix. Car si elle choisit de rentrer dans une logique de jeu commercial, il faut mesurer ce que cela signifie : une invasion de jeux et la possibilité de voir déferler des opérateurs, certains relativement bien contrôlés, d'autres à l'actionnariat plus nébuleux. Est-ce que c'est cela qu'on veut ? Ce choix, il faut le mettre au débat. Car on peut aussi considérer que le jeu est une activité socialement nocive, un impôt sur les pauvres qu'il faut absolument réglementer. Et alors la France devra entrer dans la logique du tabac. C'est-à-dire restreindre la puissance de l'offre, en obligeant la Française des jeux et le PMU à limiter leurs produits par exemple.
Comme viennent de le faire les Etats-Unis ?
Sauf que si les problèmes sont analogues, les ressorts idéologiques et les situations juridiques sont différentes : il y a le fédéralisme et le fait qu'une bonne partie du jeu est détenue par des Américains indiens auxquels on ne peut couper comme cela les vivres.
(source : liberation.fr/Sandrine CABUT)