JEUX. Les clients occasionnels et les flambeurs se font plus facilement plumer que les assidus
Didier Brezzo, 49 ans dont presque la moitié dans des casinos, est le maître d'une science presque occulte: l'optimisation des machines à sous. Son métier consiste à trouver un fragile compromis entre le plaisir des joueurs, leurs gains et ceux de sa société, le Casino (CO.PA) de divonne-les-Bains (Ain), à une vingtaine de kilomètres de Genève.
Le paramètre le plus sensible qu'ajuste le directeur est le taux de redistribution de chacune de ses 350 machines à sous. Ce taux est la proportion des sommes jouées qui, en moyenne, sont redistribuées sous forme de gains. Ce chiffre, inscrit à l'intérieur de la machine pour les contrôles de l'autorité de tutelle des maisons de jeu, reste inconnu du joueur. Dommage, car il varie énormément.
A divonne, le bandit manchot le plus favorable, un poker électronique à jetons de 2 euros, reverse 99,9% des mises. Autant dire qu'il rapporte peu au casino et donne beaucoup de temps au joueur. La machine la plus rapace, un «rouleau vidéo» à jetons de 10centimes, ne redistribue que 88%. Une marge si grande qu'elle risque de faire fuir les clients à force de les plumer.
Las Vegas à l'avant-garde
Ces derniers ne sont pas dupes. A la longue, les joueurs sont capables d'identifier les meilleures machines à partir d'écarts de 0,5 point. «Récemment, un ajustement de cette ampleur du taux de redistribution a conduit à une variation de 7% du chiffre d'affaires», témoigne Didier Brezzo. A noter également que ce taux comprend le versement du jackpot que le plus chanceux des parieurs peut espérer remporter. Mais il n'est pas forcément lié à la table de gain des machines. Affichée, cette table précise au joueur si la machine promet de petits gains, assez régulièrement, ou de gros gains, rarement.
Le taux de redistribution est sensible. Tellement que les reprogrammations de machines à sous sont strictement encadrées. En France, le même appareil ne peut subir qu'un changement tous les trois mois. Au cours d'une année, le casino ne peut modifier que le quart de son parc. L'autorité de supervision suisse est plus coulante: les adaptations se font en début de mois après notification.
Vu d'Amérique, tout cela ressemble à la préhistoire. Las Vegas est en train de tester le réglage instantané et à distance dans un établissement alignant 1790 bandits manchots. Le responsable de la salle est seulement tenu d'arrêter son bandit quatre minutes après chaque reprogrammation et de ne pas interrompre une partie. Une souplesse extrême qui a pour but d'adapter aussi finement que possible l'offre de jeu à la clientèle du moment.
Un casino semé d'embûches
Les retraités et les touristes de l'après-midi n'ont pas le même profil que les habitués du soir. Ces derniers sont aussi plus avertis. Ils sont assidus sur les machines de poker, précisément celles qui redistribuent beaucoup. Quant aux occasionnels, le segment «loisirs» dans le jargon, ils se dirigent plus volontiers vers les très pingres rouleaux à «petites dénominations» (mises de 10 ou 20 centimes). Les «flambeurs» qui jouent à coups de 20 euros ne sont pas les mieux lotis: les machines sur cette dénomination redistribuent autour de 98,5%.
«En général, le taux de redistribution augmente avec la dénomination», précise Didier Brezzo. Mais il y a des pièges. Toutes les machines, identiques, d'une même rangée ne sont pas logées à la même enseigne. «Celle-ci en bout de rangée à côté du distributeur de jetons est à une place stratégique», explique le directeur. Elle est toute désignée pour un grand joueur. Rapporte-t-elle plus ou moins que ses consœurs? Didier Brezzo se tait.
La décoration est très importante. Un changement d'aspect peut suffire à doubler le chiffre d'affaires. Sur les rouleaux, les dessins de diamants, de cerises, le chiffre 7 et le mot «BAR» attirent le chaland. Faut-il s'en méfier? Secret de fabrication.
Globalement, les machines de divonne affichent un taux de redistribution de 95%. Sur les 800 millions d'euros joués en une année (1,24 milliard de francs), 760 millions sont reversés aux joueurs sous forme de gains et 40 millions, dont 24 millions d'impôts, sont prélevés par le casino.
(source : letemps.ch/ Jean-Louis Richard)