La Française des jeux (FDJ) pourrait être accusée de tricherie. Au moment où elle vient de célébrer le trentième anniversaire du Loto par la mise en jeu d'une cagnotte record de 30 millions d'euros, elle voit à nouveau son attitude mise en cause dans le conflit qui l'oppose à un joueur, Robert Riblet. Celui-ci avait démontré que les jeux de grattage ne respectaient pas l'égalité des chances entre les joueurs et avait engagé une action civile contre la FDJ. En dépit de dénégations publiques, celle-ci lui a bien proposé la somme de 450 000 euros, lors de discussions informelles, officiellement pour rétribuer le travail du contestataire, ainsi que le montrent des documents que Le Monde a pu consulter. M. Riblet indique que la FDJ espérait ainsi arrêter son action en justice.
La direction de la FDJ avait reconnu avoir rencontré à plusieurs reprises M. Riblet dans le cadre de ce contentieux, mais elle avait formellement contesté lui avoir fait la moindre proposition financière. Dans un entretien au Parisien du 7 avril, le directeur marketing et développement, Jean-Marc Buresi, déclarait encore : "nous ne lui avons jamais proposé 300 000 euros."
Ce sont des documents internes à la FDJ qui mettent à mal la position officielle. Le premier, daté du 15 février, émane de la direction audit du groupe. Il est adressé à la haute hiérarchie et décrit en détail la "chronologie de l'entrée en relation de M. Riblet avec la FDJ". A la date du 22 juillet 2005, il est indiqué que "la FDJ serait d'accord pour indemniser M. Riblet à hauteur de 300 000 euros couvrant le travail et le coût des investigations générées par ses recherches". Il est précisé, un peu plus loin : "La FDJ allouerait au besoin une somme supplémentaire de 150 000 euros un an après la transaction, visant à indemniser M. Riblet des frais relatifs à une mission que lui confierait la FDJ, ayant pour objet de tester les modifications réalisées au sein du procédé de répartition des lots." Ces propositions figuraient dans une lettre confidentielle adressée par l'avocat de la FDJ, Me Joël Alquezar, à son confrère Me Gilbert Collard, défenseur de M. Riblet.
"RÉGLER RAPIDEMEnT LE LITIGE"
Un autre document, une lettre manuscrite adressée par M. Buresi à l'un de ses collègues directeurs, en date du 19 mai 2005, va dans le même sens. Il suggère de "régler rapidement le litige avec l'intéressé en cherchant, comme suggéré, à conclure un accord étalé dans le temps plutôt qu'une transaction portant sur le strict motif de ses demandes".
Il montre également qu'à cette date, la FDJ prenait très au sérieux les arguments de M. Riblet. Au nombre de ses recommandations, M. Buresi écrit qu'il faut "évaluer de façon urgente les implications d'une gestion différente des aléas de répartition des lots". Ces études ont été conduites et un calendrier de renouvellement des tickets des jeux de grattage, qui se vendent à près de deux milliards d'exemplaires chaque année, a été adopté. Entamé avec le Tac-o-tac gagnant à vie en novembre 2005, il a été poursuivi pour les autres jeux en décembre 2005 et en avril 2006, sur la base du même principe ainsi énoncé : "Les situations à éviter sont celles où au maximum un seul lot significatif, c'est-à-dire supérieur à 20 euros, se trouve dans un livret."
C'était en effet l'un des points principaux du litige avec M. Riblet. Le joueur, témoignages de détaillants de la FDJ à l'appui, avait montré qu'une fois qu'un lot exceptionnel avait été tiré dans une bande de tickets, les joueurs suivants n'avaient plus d'autres possibilités de tomber sur un gain supérieur ou égal à 20 euros. M. Riblet signalait en outre une inégalité de fait entre les joueurs initiés et les autres, les premiers refusant d'acheter des tickets appartenant à des bandes déjà entamées d'où était sorti un lot exceptionnel. Certains détaillants expliquaient même qu'ils avertissaient leurs bons clients et leur proposaient de faire leur choix sur une autre bande. Ils malmenaient ainsi le principe d'égalité des chances des joueurs inscrits dans le règlement des jeux.
Vieille de près de dix-huit mois, cette affaire est désormais la source de vives tensions au sein de la FDJ, d'où proviennent les fuites de documents qui contredisent la version officielle. Une enquête interne a été déclenchée pour en identifier la source. Une plainte a été déposée pour "vol" par la FDJ, vendredi 26 mai. En février, celle-ci avait obtenu de la direction de M6 le retrait de deux passages d'un reportage de l'émission "Capital", dans lequel il était notamment évoqué une somme de 300 000 euros proposée à M. Riblet par le groupe.
Me Collard a, de son côté, manifesté l'intention de déposer une plainte contre "X..." pour "harcèlement". Il dit avoir été l'objet de menaces directes et indirectes - un contrôle fiscal par exemple - en relation avec l'affaire, depuis plusieurs semaines.
(source : lemonde.fr/Pascal Ceaux)
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