Le Dr Marc Valleur, médecin-chef de l'hôpital Marmottan à Paris, soigne des joueurs pathologiques. Il est vice-président de l'Observatoire français des jeux, association qui se dissoudra d'elle-même quand les pouvoirs publics prendront réellement en compte cette addiction dévastatrice.
Sommes nous dans une société addictive?
Dr Marc Valleur: "Elle l'est même de plus en plus, avec une offre de jeux toujours plus large. L'addiction est aujourd'hui un vrai problème de santé publique. Les joueurs pathologiques représentent 1 à 3% de la population, 80% d'entre eux sont, un jour, victimes de dépression, et parmi eux 20% basculent dans la délinquance."
Quand le jeu devient-il pathologique?
"Quand le joueur veut réduire ou arrêter et qu'il n'y parvient pas. Et s'il veut réduire, c'est uniquement parce qu'il a des problèmes sérieux. Le jeu devient une préoccupation qui se développe au détriment du reste de l'existence. Le joueur pathologique s'isole affectivement et socialement, il est surendetté et a souvent des ennuis avec la justice."
La détresse est-elle le destin commun de tous les joueurs pathologiques?
"Oui, car la particularité du joueur est que pendant très longtemps, il va chercher la
solution à l'intérieur du problème. Il va perdre et va vouloir se refaire en gagnant, et il perd encore plus. Ce processus verrouille les gens dans le jeu."
La société prend-elle suffisamment en compte la pathologie du jeu?
"Non, elle n'est clairement pas prise au sérieux: le jeu est lié à la futilité, au divertissement. Les pouvoirs publics ont du mal à la considérer comme un objet sérieux d'études, ce qu'elle devrait être."
Pourquoi le jeu est-il si attractif?
"Il a un côté magique, sacrilège. Il est aussi bon enfant, hors de la réalité, il est un domaine où les logiques les plus irrationnelles sont valables. Le jeu est aussi encouragé par l'Etat, qui vend le rêve. Personne ne rappelle qu'il existe une chance sur quatorze millions de gagner le gros lot au Loto et une chance sur soixante-seize millions d'emporter l'Euro Millions. On préfère communiquer sur le gagnant que l'on voit partout, dans les journaux et sur les écrans de télé."
Peut-on être accro au Loto?
"Non, en tout cas, je n'en ai jamais rencontré. L'addiction a besoin de gains instantanés. Le Loto, c'est différent, la quête est cette période de rêve entre l'instant où l'on joue et le jour du tirage au sort. Pendant ces quelques jours, tous les rêves sont possibles. Par contre, on peut être accro au casino, au Rapido, aux cartes à gratter..."
Même aux cartes à gratter?
"Evidemment, car se ruiner ne veut pas dire dépenser des fortunes: le RMI, c'est 13 euros par jour... Cela va très vite".
La télé a-t-elle sa part de responsabilité?
"On assiste, sous prétexte d'interactivité, à la ludification des médias. Toutes les émissions populaires deviennent des jeux, on utilise la logique ludique pour faire de l'argent."
Le succès du Loto vous désole-t-il?
"Non, je trouve cela normal. Des moralistes, depuis l'Antiquité, ont tenté de lutter contre le jeu, ils ont tous échoué. Ce qui me désole, par contre, c'est que l'information sur les jeux soit aussi biaisée."
(source : republicain-lorrain.fr/P. R.)