Quand il pense aux endroits où il aurait pu avoir son arrêt cardiaque, Jack Barlich se dit qu’il a eu de la chance. Si cela s’était passé chez lui, dans un magasin ou à l’hôtel de ville de Del Rey Oaks, cet ancien maire californien ne serait peut-être plus de ce monde.
Mais son cœur a cessé de battre alors qu’il jouait une main de poker gagnante au mgm Grand de Las Vegas. Ce qui s’est passé ensuite, ce jour de mai 2003, a beaucoup impressionné sa femme Irène. En quelques secondes, les vigiles étaient sur place, s’assuraient qu’il n’avait plus de pouls et actionnaient le défibrillateur. Au bout de cinq chocs, le cœur repartait. “Je remercie le ciel d’être joueur”, s’exclame M. Barlich.
Alors que d’énormes groupes comme Wall-Mart commencent tout juste à s’équiper de défibrillateurs portables, l’industrie des casinos fait figure de pionnière. Selon la brigade des sapeurs-pompiers du comté de Clark, les vigiles des casinos de Las Vegas ont ranimé quelque 1 800 joueurs et employés au cours des neuf dernières années.
Des études médicales montrent que la proportion de survivants chez les individus ayant un arrêt cardiaque dans un casino est supérieure à celle de personnes qui ont le même accident dans un hôpital. “Aux Etats-Unis, l’endroit le plus sûr pour faire un arrêt cardiaque est un casino”, assure Bryan Bledsoe, médecin urgentiste à l’université George Washington.
Tous les grands casinos du Sunset Strip sont équipés de défibrillateurs automatiques. Les vigiles de ces établissements en maîtrisent si bien le maniement qu’ils déclinent généralement l’aide des clients médecins. “Le radiologue ou l’obstétricien moyen n’a pas l’expérience de nos vigiles”, affirme David Slattery, médecin urgentiste qui coordonne le programme de défibrillateurs des 23 casinos mgm Mirage.
Cette expérience a suscité des appels à une plus large diffusion des défibrillateurs. L’Association cardiaque américaine (AHA) vient de se prononcer en faveur de l’utilisation de ces appareils par des non-professionnels, alors qu’elle souhaitait jusqu’ici les voir réservés au corps médical. Se basant sur l’expérience des casinos, l’AHA a publié en décembre dernier un communiqué reconnaissant que l’usage des défibrillateurs par des non-professionnels améliorait le taux de survie.
La défibrillation est pourtant loin d’être une réponse infaillible à cet accident soudain et dramatique que représente l’arrêt cardiaque. Des chercheurs ont calculé que 53 % des personnes victimes d’un arrêt cardiaque dans un casino survivaient. Bien que cette proportion excède de loin le taux moyen de survie aux Etats-Unis, inférieur à 10 %, cela signifie qu’en dépit des efforts du personnel près de la moitié des joueurs ne peuvent pas être réanimés. La défibrillation est plus efficace quand on l’associe à un massage cardiaque.
Cet engouement des casinos pour les défibrillateurs n’est d’ailleurs pas toujours bien perçu. “Les casinos sauvent les joueurs pour qu’ils puissent revenir chez eux perdre encore plus d’argent”, soutient David Robertson, membre du conseil d’administration de la Coalition nationale contre le jeu légalisé.
L’expérience des casinos peut-elle être appliquée à d’autres secteurs ? La question se pose. Ces établissements sont en effet surveillés en permanence sur écran par des agents de sécurité, lesquels peuvent donc réagir immédiatement en cas de crise. Compte tenu de l’affluence et de l’âge des clients, ces lieux se prêtent davantage que d’autres aux arrêts cardiaques. En 2004, près de 75 % des visiteurs de Las Vegas avaient plus de 40 ans. De surcroît, certains clients accroissent leurs risques en abusant d’alcool, de tabac et de manque de sommeil. Le “syndrome de Vegas”, comme on dit.
(source : courrierinternational.com/Kevin Helliker/The Wall Street Journal)