TÉMOIGNAGE
Ancien flambeur au casino, il est aujourd’hui accro au Tactilo.
A 71 ans, il se soigne à Lausanne et souhaite qu’on lui interdise l’accès aux bornes électroniques de la Loterie.
Parce qu'il était hôtelier de profession, il s'est frotté à la jet-set des palaces, de Gstaad à Saint-Moritz. C'était dans les années 1970, du temps où l'argent «allait et venait facilement». Attiré par les lumières du casino, séduit par le whisky que l'on vous sert gracieusement sur un guéridon, il a flambé. Jusqu'à 20 000 francs suisses en une soirée à Divonne, avec la sueur qui vous coule «de la nuque jusqu'à la ceinture».
Maintes fois, il est rentré chez lui au petit matin, «mouillé comme si vous aviez déchargé un camion de briques», imprégné du parfum des femmes qui cherchent de l'argent. Il a baissé les yeux devant son épouse, et maudit son reflet lorsqu'il se rasait. Et il a compris. Pour «protéger sa famille», il a demandé à être interdit de tous les casinos européens, et des salles suisses plus récemment.
Il a soufflé, un petit moment. Mais le démon du jeu, face auquel vous n'avez «aucun allié», cache plus d'un tour dans son sac. Il y a quelques années, il a découvert les Tactilo, ces machines à sous de la Loterie Romande (LoRo) que l'on trouve dans les cafés. Et il a flambé. «35 000 francs en quatre ou cinq ans», lâche-t-il. La dernière fois qu'il a joué, au mois de février, il a claqué 1200 francs en deux heures dans un troquet de la Chaux-de-Fonds, la ville où il vit.
A 71 ans, retraité et arrière-grand-père, il porte des costumes cravates impeccables et range ses documents dans une petite valise. Il sait qu'il est malade et se soigne. Régulièrement, il rend visite à son psychiatre du Centre du jeu excessif (CJE) de Lausanne. Pour mettre toutes les chances de son côté, il a ravalé sa «fierté de mâle», et confié sa carte bancaire à sa femme «en or». Elle lui donne des sous au compte-gouttes, mais cela ne suffit pas. Il réussit à éviter les dettes et les poursuites, mais continue à dilapider l'argent qu'elle lui remet, à Lausanne ou à la Chaux-de-Fonds.
Ce qu'il gagne au jeu, il le cache sous une couverture, dans le garage, avant de le rejouer dans une autre machine. Comme le joueur de Dostoïevski, il se répète sans cesse que «demain, demain, tout cela finira». Alors, il voudrait qu'on l'aide. «Je ne comprends pas pourquoi la LoRo ne peut pas exiger du tenancier qu'il vérifie l'identité des joueurs. La protection des malades du jeu, ils s'en foutent.» Il dit avoir appelé la Loterie, pour demander un soutien. «On m'a répondu que je m'étais fichu dans la m…, et que je devais contacter les services sociaux de ma ville. Plus récemment, le CJE m'a demandé de laisser tranquille la LoRo et de voir directement avec lui.»
«Sur le dos des pauvres»
Lorsqu'il évoque ces «machines de malheur», il devient fébrile, presque suppliant. «Pas une seule fois un tenancier ne m'a retenu. Et les restaurateurs se vantent de payer leur loyer avec ces Tactilo. C'est quoi si c'est pas des machines à sous? La LoRo se donne bonne conscience en reversant aux institutions, mais elle fait des bénéfices faramineux là-dessus. Sur le dos des pauvres en plus. De tous les accros au Tactilo, je suis sans doute le seul à avoir les moyens de jouer. Beaucoup sont aux services sociaux.»
Et puis, il y a l'autre problème, le cri du joueur compulsif: «Contrairement au casino, on n'a aucune chance de gagner. C'est du vol!» Il tape doucement sur la table avec le plat de sa main, avant d'évoquer son dessein: «J'espère décrocher les 50 000 francs au Tactilo, pour dire à la Loterie Romande: «On a fait match nul, allez vous faire voir.» Demain, demain, tout cela finira.
«Les joueurs confondent exclusion et guérison»
(source : lapresse.ch/CAMILLE KRAFFT)