Le Groupe tranchant se bat contre la concession de l'établissement palois à un indépendant. Un bras de fer capital pour le milieu du jeu, qui voit son monopole entamé.
Le casino de Pau doit être une bien juteuse affaire pour susciter autant de passion. Dans les profondeurs du palmarès des 190 casinos français, il rapporte, bon an mal an, 4 millions d'euros à l'exploitant et 2 millions à la mairie. L'appel d'offres en vue de désigner son nouveau concessionnaire dégénère pourtant en guerre frontale entre la mairie et l'ancien maître des lieux, le Groupe tranchant, car l'un et l'autre en font une affaire de principe.
Le maire André Labarrère, qui a siégé à la Commission nationale des jeux en tant que député, se félicite d'une «première brèche dans le monopole des casinos», les grands groupes comme Partouche, Barrière ou tranchant s'interdisant, la plupart du temps, d'être candidats les uns contre les autres. En confiant la gestion du casino de Pau à un nouveau venu dans le paysage, l'indépendant Pierre-Louis Faure, il n'est pas fâché d'envoyer balader un exploitant qui se croyait «en pays conquis».
Vaches à lait. Pour le Groupe tranchant, l'enjeu est tout aussi important : gestionnaire de dix-sept casinos, il devra faire face, après Pau, à «une vague colossale de renouvellements» de concessions d'une durée maximale de dix-huit ans. La plupart de ces maisons de jeux avaient été attribuées avant l'autorisation par Charles Pasqua des machines à sous, ces vaches à lait. Autrefois concédées pour trois fois rien, elles valent aujourd'hui beaucoup plus. Le Groupe tranchant s'est ainsi battu comme un lion contre la mairie d'Amnéville (Moselle), tentée par une gestion municipale de son casino. Parce qu'elle est symbolique, l'affaire de Pau est observée de près par le milieu des jeux.
Le 27 février dernier, la municipalité accordait une nouvelle concession de quinze ans (à partir de juin) à un régional de l'étape, Pierre-Louis Faure, fils de l'ancien directeur du casino de Pau, qui l'avait vendu en 1988 à Georges tranchant, alors député RPR et importateur de machines à sous. La mairie dit avoir contracté avec un «groupe Faure». Le terme est un peu abusif : il s'agit d'une personne physique, épaulée pour la circonstance par le casino de l'île de la Réunion, sous la bannière Secp (Société d'exploitation du casino de Pau). Dans ses multiples recours devant le tribunal administratif, le Groupe tranchant insiste sur ce point : le lauréat est une société récente et serait sans véritable garantie financière. Son directeur général, romain tranchant, critique particulièrement la mairie pour avoir réduit, «en pleine procédure d'appel d'offres», le montant de la caution à déposer par le futur exploitant : autrefois fixée à 15 années de recettes fiscales pour la municipalité, elle a été ramenée à une seule année. «Soit de 30 à 2 millions d'euros, râle romain tranchant. Ce n'est clairement pas dans l'intérêt de la ville.» Réplique d'André Labarrère : «C'est le ministère de l'Intérieur qui nous a demandé par écrit la réduction de cette caution.» Une façon d'élargir l'éventail des candidatures.
Le Groupe tranchant a été débouté de tous ses recours en référé (une procédure d'urgence) devant le tribunal administratif, ne réussissant qu'à reculer de quelques semaines la signature du changement de concession. Il entend poursuivre au fond, mais les tribunaux ne trancheront pas avant deux ans. En cas de succès, il envisage de réclamer un «manque à gagner sur quinze ans», soit quelque 60 millions d'euros. On en est encore loin.
Grève. A plus court terme, le nouvel exploitant du casino de Pau a un léger souci : adoubé par le conseil municipal, il lui faut obtenir une licence d'exploitation délivrée par le ministère de l'Intérieur. La procédure administrative prenant plusieurs mois, il n'est pas sûr de l'obtenir avant juin 2006, début officiel de la nouvelle concession. «Il y aura un passage délicat, concède l'avocat de la Secp, Me Jean-Claude Piedbois. Il faudra peut-être payer les salariés à ne rien faire pendant quelque temps.» Un air de déjà-vu ? En grève pendant une semaine pour protester contre l'absence de garanties du nouvel exploitant, les 80 employés du casino, pris entre deux feux, avaient quand même été payés par le Groupe tranchant, trop heureux de semer la zizanie.
(source : liberation.fr/Renaud LECADRE)