Il suffit de gratter pour avoir une chance de gagner. Le slogan était alléchant, mais Robert Riblet n'y croit plus. Ce joueur a acquis la conviction que les jeux de grattage de la Française des jeux (fdj) — Vegas, Black Jack, etc. — masquent "une véritable tricherie". Me Gilbert Collard, son défenseur, a assigné la fdj en responsabilité civile devant le tribunal de Nanterre, qui devra se prononcer sur le bien-fondé de la procédure. "Mon but est d'obtenir une expertise du système mis en place par la Française des jeux, explique l'avocat. Un collège d'experts, j'en suis sûr, sera en mesure de démontrer que nous avons affaire à un hasard programmé."
M. Riblet indique avoir découvert le problème par hasard, alors qu'il buvait un verre avec des amis gendarmes dans un bar qui vendait des tickets à gratter. L'évidence lui est apparue : dans les jeux de grattage, tous les joueurs n'ont pas une chance égale de gagner. Il utilise l'expression d'"aléatoire de marketing" : les déposants de la Française des jeux reçoivent des bandes qui comportent un certain nombre de tickets gagnants. Lorsque ceux-ci ont été tirés par les clients, les tickets restants sont tous perdants — et l'exploitant le sait. Ils sont pourtant mis en vente au détriment des acheteurs.
"PEUR DU SCANDALE"
"Imaginez que vous organisiez une loterie avec des amis, dit M. Riblet. Vous avez édité cent tickets qui comprennent trois lots gagnants. Vous avez vendu 80 tickets, parmi lesquels figuraient les trois gagnants. Et, malgré cela, vous décidez de remettre en vente les 20 tickets restants." A l'appui de sa démonstration, le joueur produit le témoignage de plusieurs anciens propriétaires de bar, détaillants de jeux, qui lui ont rédigé des attestations écrites. L'un d'eux, Alain Langlet, évoque une discrimination de fait entre les clients avertis et les autres. Ceux qui ont repéré la faille exigent des tickets provenant d'une bande non entamée. "Après avoir gagné dans les premiers tickets d'une bande, ces mêmes clients nous demandaient les premiers tickets dans une autre bande", ajoute M. Langlet.
Directeur du marketing de la fdj, Jean-Marc Buresi conteste toute irrégularité. Environ 2 milliards de tickets de grattage sont écoulés chaque année, et les gagnants sont définis selon "un algorithme aléatoire défini par le logiciel". "Lorsqu'une personne achète un ticket gagnant, précise M. Buresi, rien n'indique l'origine du ticket. En plus, la personne a la possibilité d'aller se faire payer dans un autre point de vente." Dans ce cas, le premier détaillant ne saura pas qu'il a vendu l'un de ses tickets gagnants.
En dépit de ce constat, les représentants de la Française des jeux ont rencontré à deux reprises M. Riblet et son avocat, dont ils avaient d'abord repoussé les sollicitations. Le versement d'une somme de 300 000 euros a été proposé à Robert Riblet. Les versions divergent sur la signification de la démarche. "Lorsque la sécurité de nos systèmes est en cause, nous regardons toujours, dit M. Buresi. Nous étions prêts à rémunérer un travail ou une découverte relative à la sécurité de nos systèmes ou leur renforcement. Mais notre conseil a cessé tout contact lorsque nous nous sommes rendus compte que ses préoccupations n'étaient pas techniques." Lauréat du 75e concours Lépine, inventeur du court de squash autoportant, M. Riblet affirme détenir de réelles compétences techniques "Mais, ajoute-t-il, s'ils ont proposé cette somme, c'est pour que nous interrompions notre action. Ils ont peur du scandale."
Le joueur réclame 2 millions d'euros, au titre de dommages et intérêts. Il s'agit du gain maximum dans les jeux dont il dénonce l'irrégularité. Une première audience a eu lieu à Nanterre, le 9 janvier, en présence des deux parties. La justice attend désormais les conclusions de la Française des jeux pour fixer une date pour un débat et se prononcer. Une manière, sans doute, de ne rien laisser au hasard.
(source : lemonde.fr/Pascal Ceaux)