Quelques jours après avoir délivré ses premiers agréments (1) , l’Autorité de régulation des jeux d’argent en ligne (Arjel), dirigée par Jean-François Vilotte (Président) et Frédéric Epaulard (Directeur Général), a lancé le 1° juin 2010, sa première campagne d’information-prévention visant à dissuader les internautes d’aller jouer sur des sites illégaux. Réalisée par Publicis, cette communication a été déclinée dans la presse écrite, la radio et sur Internet. Dans les journaux, elle apparaît pendant un mois dans la presse TV, hippique, sportive et dans les nombreux magazines spécialisés dans le poker. À la radio, les spots sont diffusés sur les ondes des grandes stations nationales ou sur des radios jeunes. Sur le Web le dispositif repose sur des bannières de faux sites de jeux en ligne, aux noms particulièrement explicites (onvateplumer.com ; tuvastoutperdre.com ; megacotesbidons.com ), installées sur Yahoo, Youtube et Jeuxvidéo.com. Une seconde campagne d’information est programmée pour la rentrée.
Ni prosélytisme ludique, ni campagne anti jeu
Pour sa première campagne de sensibilisation, l’Arjel a mis le paquet : 390 000 euros. Si certains ont maladroitement comparé ce budget à l’argent dépensé en publicité par les opérateurs agrées ( 14 millions d’euros du 8 au 22 juin) (2), ils se sont fourvoyés. Comme l’a précisé Jean-François Villotte, le but de cette communication n’est pas d’inciter à jouer mais vise à « encourager les joueurs qui souhaitent parier à le faire sur des sites agréés » (3) La nuance apparaît d’importance, l’Arjel étant une autorité de régulation indépendante, elle se doit de rester dans l’objectivité et la neutralité, ce qui semble être le cas dans cette campagne qui ne fait pas de prosélytisme ludique mais n’apparaît pas non plus anti-jeu, bien que situant nettement dans la prévention.
L’Arjel : pour savoir où vous mettez les pieds
Quelques observations sur la communication de la campagne print parue dans la presse télé. En bas à droite apparaît le pictogramme « Agréé arjel » S’il n’a rien de très folichon, le logo de l’Arjel a la vertu d’être parfaitement identifiable. C’est important car ce label doit permettre aux internautes de repérer facilement les sites autorisés. Ses couleurs nationales (bleu, blanc, rouge) renforce son côté officiel. Une phrase précise : « Pour connaître les sites de jeux agréés, cliquez sur arjel.fr » A gauche du pictogramme un texte de cinq lignes (clair, précis et d’un style très direct : « pour savoir où vous mettez les pieds, il y a l’Arjel ») informe sur les principales missions de l’autorité de régulation : information, contrôle, protection des joueurs, prévention de l’addiction, lutte contre la fraude . Ce texte oppose les sites de paris illégaux « qui ne jouent pas le jeu et qui ne respectent pas les règles » , aux sites agréés par le régulateur qui « offrent toutes les garanties de jeu : sincérité, sécurité, transparence ». En final, une information simple qui annonce clairement la couleur, et invite le joueur à exercer sa responsabilité en jouant dans la légalité.
L’aspect sombre et mafieux de certains sites ludiques illégaux
Le reste de la communication ( qui occupe 80% de la surface) interpelle le joueur d’une manière beaucoup plus symbolique et beaucoup plus forte. S’il n’a rien d’agressif, le message se situe nettement dans la prévention performative, qui montre les dangers à jouer sur des sites illégaux. Sur une page internet du (faux) site « onvameplumer.com, un carré d’as apparaît. Mais l’internaute joueur ne doit pas se réjouir de cette main heureuse car un slogan précise : « Perdu ! vous n’êtes pas sur un site agréé par l’autorité de régulation des jeux en ligne « . Bien que de couleur verte (symbole de chance et d’espérance dans l’univers ludique) le fond d’écran très sombre fait davantage référence à l’aspect opaque et mafieux de certains sites illégaux, qu’au vert chatoyant des tables de jeux des casinos.
Piège à loup
Les quatre symboles qui apparaissent sur les cartes du carré d’as ( et notamment sur la première) sont particulièrement signifiants : un piège à loup, une paire de menotte, un fouet, un hameçon ! Le message est sans ambiguïté, la symbolique est limpide : si vous ne vous voulez pas vous faire harponner, menotter, flageller ou piéger par des sites illégaux, jouez sur les sites autorisés et agréés par les pouvoirs publics. Le message n’apparaît pas moralisateur ou anti-jeu, il invite - simplement mais fermement - à rester dans la légalité. Il en appelle à la responsabilité du joueur qui doit faire le choix de ne pas aller s’aventurer sur des sites interdits. Certes, les différents univers qui apparaissent à travers les symboles utilisés n’ont rien de très ludiques : la chasse ( piège loup), la pêche ( hameçon), l’univers carcéral et policier ( menottes), la punition, le sado-masochiste ( fouet). Mais l’humour n’est pas absent de cette communication de prévention qui suggère au joueur :
- qu’il peut se faire pigeonner s’il fréquente des sites illégaux, dont certains sont dans les mains d’intérêts mafieux ou frauduleux
- que l’univers des jeux d’argent - le milieu du jeu - n’est pas fréquenté que par des enfants de cœur et peut comporter une face sombre - l’enfer du jeu – notamment quand il échappe au contrôle de la puissance publique.
En final, la stratégie utilisée par l’Arjel pour communiquer et « offrir un cadre sécurisé aux joueurs et parieurs en ligne » (4) apparaît pertinente. Elle ne se situe pas sur le registre de la morale ( tu ne joueras point) ou de la sanction liberticide, mais parie sur la responsabilisation du joueur. Même si d’autres moyens plus coercitifs sont mise en œuvre pour lutter contre les sites illégaux ( et notamment la cyber douane crée en février 2009) (5), le régulateur a compris que la meilleure méthode pour juguler ces sites, consiste à faire en sorte que les joueurs prennent d’eux-mêmes la décision de ne pas les fréquenter. Liberté et responsabilité comme base d’un principe de précaution revisité. Par ailleurs la simplicité du langage et de la symbolique utilisés, qui invite le joueur à « ne pas aller se faire plumer » (6) dans des espaces ludiques virtuels où aucun contrôle n’est effectué et aucun recours n’est possible, est susceptible d’être entendu par le plus grand nombre.
Reste à analyser scientifiquement la visibilité, l’impact de cette campagne de sensibilisation-responsabilisation et les représentations qu’elle suscite dans les différente strates de la société Française. Reste à savoir, si les joueurs en ligne resteront dans le cadre « de la bonne pratique du jeu en ligne » définie et souhaitée par l’Arjel, ou seront attirés par les sites illégaux qui peuvent offrir des TRJ ( taux de retour au joueur) ou des bonus d’entrées plus attractifs, afin de détourner les gamblers du droit chemin. Sans se faire l’avocat du diable il faut rappeler cependant :
-
d’une part que la légalisation des jeux d’argent en ligne va rendre socialement plus acceptable le gambling en ligne et peut créer un appel d’air, une banalisation , favorable à l’ensemble des sites légaux ou illégaux, comme le montrent certaines études qui ont analysé l’exemple suèdois (7)
- d’autre part, comme l’a souligné l’historienne elisabeth Belmas, que « le jeu déborde constamment les limites que la loi et la morale voudraient lui imposer » (8) Ainsi dans le cas du poker qui sera autorisé le 30 juin (9), comme la loi oblige « à jouer entre Français », cela peut inciter certains joueurs à fréquenter les sites illégaux par esprit de compétition ou pour affronter les champions internationaux.
© Jean-Pierre Martignoni, sociologue
Université Lumière ( Lyon II)
Lyon (France)
29 juin 2010
(1) L’arjel a délivré 17 agréments à 11 opérateurs : 8 pour les paris sportifs, 2 pour les paris hippiques, 7 pour le poker
(2) Etude Kantar média cité par l’AFP du 22 juin 2010 : « 14 millions d’euros de publicité pour les jeux en ligne « Plus gros budget : la FDJ ( 27 %), PMU (24%), Bwin (20%), réparti de la manière suivante : télévision (63%), presse écrite (38%), radio ( 7%) ( source AFP, Kandar Média). Par ailleurs le marché publicitaire des jeux en ligne est estimé à 15O millions d’euros pour les 6 mois à venir ( source Les Echos du 10 juin 2010 : « Gâteaux en ligne »)
(3) JF Vilotte, Confèrence de presse du 8 juin 2010, page 4
(4)JF Vilotte , Confèrence de presse du 8 juin 2010, page 1
(5) « Jeux et paris en ligne : la cyberdouane luttera contre les sites illégaux « ( Portail du gouvernement du 26 Mai 2010
(6) expression utilisée dans le communiqué de presse de l’Arjel du 8 juin 2010 : « L’arjel délivre ses premiers agréments et entre en campagne »
(7) elisabeth Papineau, Jean Leblond : « Etatisation des jeux d’argent sur Internet au Québec : une analyse de santé public » ( Institut national de santé public du Québec, mars 2010, 78 pages, cf notamment page 31)
(8) E. Belmas, Jouer autrefois, Champ Vallon, 2006
(9)Confer = Mathilde Visseyrias : « Après les paris sportifs, le poker se met au net « ( Le Figaro du 29 juin 2010) ; Aymeric Renou : « C’est la folie du poker « ( Aujourd’hui en France du 28 juin 2010) ; Héléna Dupuy, Sandrine Cassini : « Les rois du poker sont prêts à s’affronter en ligne « ( La Tribune du 28 juin 2010) ; Dossier : « Paris en ligne : le guide du joueur » ( Aujourd’hui en France du 29 juin 2010)